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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

il y a toujours ainsi un témoin à affronter : Dieu. » Ces paroles auraient dû me déchirer le cœur, car il était facile de les interpréter comme autant de blasphèmes, et pourtant elles ne me causaient aucun trouble. — « Il n’est pas si mauvais d’affronter Dieu, lui dis-je. Cela force un homme à s’engager à fond — à engager à fond l’espérance, toute l’espérance dont il est capable. Seulement Dieu se détourne parfois… » Il me fixait de ses yeux pâles. « Mon oncle vous tient pour un sale petit curé de rien, et il prétend même que vous… » Le sang m’a sauté au visage. « Je pense que son opinion vous est indifférente, c’est le dernier des imbéciles. Quant à ma cousine… » — « N’achevez pas, je vous en prie ! » ai-je dit. Je sentais mes yeux se remplir de larmes, je ne pouvais pas grand’chose contre cette soudaine faiblesse, et ma terreur d’y céder malgré moi était telle qu’un frisson m’a pris, j’ai été m’accroupir au coin de la cheminée, dans les cendres. — « C’est la première fois que je vois ma cousine exprimer un sentiment avec cette… D’ordinaire elle oppose à toute indiscrétion, même frivole, un front d’airain. » — « Parlez plutôt de moi… » — « Oh ! vous ! N’était ce fourreau noir, vous ressemblez à n’importe lequel d’entre nous autres. J’ai vu ça au premier coup d’œil. » Je ne comprenais pas (je ne comprends d’ailleurs pas encore). — « Vous ne voulez pas dire que… » — « Ma foi si, je veux le dire. Mais vous ignorez peut-être que je sers au régi-