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JOURNAL

J’aime ça, vous savez, ce rappel discret du cri des tournois : « Honneur aux Dames ! » Il y a là de quoi faire loucher de rancune vos docteurs qui se méfient tant des personnes du sexe, hein ? » — La plaisanterie m’aurait fait rire, car elle ressemble beaucoup à celles que j’ai entendues tant de fois au séminaire, mais je voyais que son regard était triste, d’une tristesse que je connais. Et cette tristesse-là m’atteint comme au vif de l’âme, j’éprouve devant elle une sorte de timidité stupide, insurmontable. — « Que reprochez-vous donc aux gens d’église ? » ai-je fini par dire bêtement. — « Moi ? oh ! pas grand’chose. De nous avoir laïcisés. La première vraie laïcisation a été celle du soldat. Et elle ne date pas d’hier. Quand vous pleurnichez sur les excès du nationalisme, vous devriez vous souvenir que vous avez fait jadis risette aux légistes de la Renaissance qui mettaient le droit chrétien dans leur poche et reformaient patiemment sous votre nez, à votre barbe, l’État païen, celui qui ne connaît d’autre loi que celle de son propre salut — les impitoyables patries, pleines d’avarice et d’orgueil. » — « Écoutez, lui dis-je, je ne connais pas grand’chose à l’histoire, mais il me semble que l’anarchie féodale avait ses risques. » — « Oui, sans doute… Vous n’avez pas voulu les courir. Vous avez laissé la Chrétienté inachevée, elle était trop lente à se faire, elle coûtait gros, rapportait peu. D’ailleurs, n’aviez-vous pas jadis construit vos basiliques avec les pierres des