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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

Je m’étais couché hier soir très sagement. Le sommeil n’a pu venir. J’ai résisté longtemps à la tentation de me lever, de reprendre ce journal encore une fois. Comme il m’est cher ! L’idée même de le laisser ici, pendant une absence pourtant si courte, m’est, à la lettre, insupportable. Je crois que je ne résisterai pas, que je le fourrerai au dernier moment dans mon sac. D’ailleurs il est vrai que les tiroirs ferment mal, qu’une indiscrétion est toujours possible.

Hélas ! on croit ne tenir à rien, et l’on s’aperçoit un jour qu’on s’est pris soi-même à son propre jeu, que le plus pauvre des hommes a son trésor caché. Les moins précieux, en apparence, ne sont pas les moins redoutables, au contraire. Il y a certainement quelque chose de maladif dans l’attachement que je porte à ces feuilles. Elles ne m’en ont pas moins été d’un grand secours au moment de l’épreuve, et elles m’apportent aujourd’hui un témoignage très précieux, trop humiliant pour que je m’y complaise, assez précis pour fixer ma pensée. Elles m’ont délivré du rêve. Ce n’est pas rien.

Il est possible, probable même, qu’elles me seront inutiles désormais. Dieu me comble de tant de grâces, et si inattendues, si étranges ! Je déborde de confiance et de paix.

J’ai mis un fagot dans l’âtre, je le regarde flamber avant d’écrire. Si mes ancêtres ont trop bu et pas assez mangé, ils devaient aussi avoir l’habitude du froid, car j’éprouve tou-