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Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/347

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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

portez le rêve des pauvres ! Je crois que c’est ce mot de Mézargues qui avait ainsi brisé mon cœur. Ma pensée semblait très loin de M. Olivier, de notre promenade, il n’en était rien pourtant. Je ne quittais pas des yeux le visage du docteur, et soudain il a disparu. Je n’ai pas compris sur-le-champ que je pleurais.

Oui, je pleurais. Je pleurais sans un sanglot, je crois même sans un soupir. Je pleurais les yeux grands ouverts, je pleurais comme j’ai vu pleurer les moribonds, c’était encore la vie qui sortait de moi. Je me suis essuyé avec la manche de ma soutane, j’ai distingué de nouveau le visage du docteur. Il avait une expression indéfinissable de surprise, de compassion. Si on pouvait mourir de dégoût, je serais mort. J’aurais dû fuir, je n’osais pas. J’attendais que Dieu m’inspirât une parole, une parole de prêtre, j’aurais payé cette parole de ma vie, de ce qui me restait de vie. Du moins j’ai voulu demander pardon, je n’ai pu que bégayer le mot, les larmes m’étouffaient. Je les sentais couler dans ma gorge, elles avaient le goût du sang. Que n’aurais-je pas donné pour qu’elles fussent cela, en effet ! D’où venaient-elles ? Qui saurait le dire ? Ce n’était pas sur moi que je pleurais, je le jure ! Je n’ai jamais été si près de me haïr. Je ne pleurais pas sur ma mort. Dans mon enfance, il arrivait que je me réveillasse ainsi, en sanglotant. De quel songe venais-je de me réveiller cette fois ? Hélas ! j’avais cru traverser le monde presque sans le voir,