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JOURNAL

dant de sympathie pour eux-mêmes. Un paysan s’aime rarement, et s’il montre une indifférence si cruelle à qui l’aime, ce n’est pas qu’il doute de l’affection qu’on lui porte ; il la mépriserait plutôt. Sans doute cherche-t-il peu à se corriger. Mais on ne le voit pas non plus se faire illusion sur les défauts ou les vices qu’il endure avec patience toute sa vie, les ayant jugés par avance irréformables, soucieux seulement de tenir en respect ces bêtes inutiles et coûteuses, de les nourrir au moindre prix. Et comme il arrive, dans le silence de ces vies paysannes toujours secrètes, que l’appétit des monstres aille croissant, l’homme vieilli ne se supporte plus qu’à grand’peine et toute sympathie l’exaspère, car il la soupçonne d’une espèce de complicité avec l’ennemi intérieur qui dévore peu à peu ses forces, son travail, son bien. Que dire à ces misérables ? On rencontre ainsi au lit de mort certains vieux débauchés dont l’avarice n’aura été qu’une âpre revanche, un châtiment volontaire subi des années avec une rigueur inflexible. Et jusqu’au seuil de l’agonie, telle parole arrachée par l’angoisse témoigne encore d’une haine de soi-même pour laquelle il n’est peut-être pas de pardon.

♦♦♦ Je crois qu’on interprète assez mal la décision que j’ai prise, voilà quinze jours, de me passer des services d’une femme de ménage. Ce qui complique beaucoup la chose, c’est que le mari de cette dernière, M. Pé-