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JOURNAL

justement depuis des siècles à ce propriétaire paysan, et il n’est pas de maître plus difficile à contenter, plus dur.

♦♦♦ Reçu une lettre de l’abbé Dupréty, très singulière. L’abbé Dupréty a été mon condisciple au petit séminaire, puis a terminé ses études je ne sais où et, aux dernières nouvelles, il était pro-curé d’une petite paroisse du diocèse d’Amiens, le titulaire du poste, malade, ayant obtenu l’assistance d’un collaborateur. J’ai gardé de lui un souvenir très vivace, presque tendre. On nous le donnait alors comme un modèle de piété, bien que je le trouvasse, à part moi, beaucoup trop nerveux, trop sensible. Au cours de notre année de troisième, il avait sa place près de la mienne, à la chapelle, et je l’entendais souvent sangloter, le visage enfoui dans ses petites mains toujours tachées d’encre, et si pâles.

Sa lettre est datée de Lille (où je crois me rappeler qu’en effet un de ses oncles, ancien gendarme, tenait un commerce d’épicerie). Je m’étonne de n’y trouver aucune allusion au ministère qu’il a vraisemblablement quitté, pour cause de maladie, sans doute. On le disait menacé de tuberculose. Son père et sa mère en sont morts.

Depuis que je n’ai plus de servante, le facteur a pris l’habitude de glisser le courrier sous ma porte. J’ai retrouvé l’enveloppe cachetée par hasard, au moment de me mettre au lit. C’est un moment très désagréable pour