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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

lorsque le Seigneur tire de moi, par hasard, une parole utile aux âmes, je la sens au mal qu’elle me fait. »

Il riait, mais je ne reconnaissais plus son rire. C’était un rire courageux, certes, mais brisé. Je n’oserais pas me permettre de juger un homme si supérieur à moi de toutes façons, et je vais parler là d’une qualité qui m’est étrangère, à laquelle d’ailleurs, ni mon éducation, ni ma naissance ne me disposent. Il est certain aussi que M. le curé de Torcy passe auprès de certains pour assez lourd, presque vulgaire — ou, comme dit Mme la comtesse, — commun. Mais enfin, je puis écrire ici ce qui me plaît, sans risquer de porter préjudice à personne. Eh bien, ce qui me paraît — humainement du moins — le caractère dominant de cette haute figure, c’est la fierté. Si M. le curé de Torcy n’est pas un homme fier, ce mot n’a pas de sens, ou du moins je ne saurais plus lui en trouver aucun. À ce moment, pour sûr, il souffrait dans sa fierté, dans sa fierté d’homme fier. Je souffrais comme lui, j’aurais tant voulu faire je ne sais quoi d’utile, d’efficace. Je lui ai dit bêtement :

— Alors, moi aussi, je dois souvent ronronner, parce que…

— Tais-toi, m’a-t-il répondu, — j’ai été surpris de la soudaine douceur de sa voix, — tu ne voudrais pas qu’un malheureux va-nu-pieds comme toi fasse encore autre chose que de réciter sa leçon. Mais le bon Dieu la bénit quand même, ta leçon, car tu n’as pas