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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

peut-être que l’oreille de l’homme ait entendue : « Si vous n’êtes pas comme l’un de ces petits, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. »

Il a répété le verset comme pour lui seul, et il a continué encore un moment à parler, la tête cachée dans ses mains.

— L’idéal, vois-tu, ce serait de ne prêcher l’Évangile qu’aux enfants. Nous calculons trop, voilà le mal. Ainsi, nous ne pouvons pas faire autrement que d’enseigner l’esprit de pauvreté, mais ça, mon petit, vois-tu, ça c’est dur ! Alors, on tâche de s’arranger plus ou moins. Et d’abord, on commence par ne s’adresser qu’aux riches. Satanés riches ! Ce sont des bonshommes très forts, très malins, et ils ont une diplomatie de premier choix, comme de juste. Lorsqu’un diplomate doit mettre sa signature au bas d’un traité qui lui déplaît, il en discute chaque clause. Un mot changé par-ci, une virgule déplacée par-là, tout finit par se tasser. Dame, cette fois, la chose en valait la peine : il s’agissait d’une malédiction, tu penses ! Enfin, il y a malédiction et malédiction, paraît-il. En l’occurrence, on glisse dessus. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’au riche d’entrer au royaume des cieux… » Note bien que je suis le premier à trouver le texte très dur et que je ne me refuse pas aux distinctions, ça ferait d’ailleurs trop de peine à la clientèle des jésuites. Admettons donc que le bon Dieu ait voulu parler des riches, vrai-