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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

confessionnal un pénitent s’accuser de bénéfices illicites !

M. le doyen m’a regardé droit dans les yeux, j’ai soutenu son regard. Je pensais au curé de Torcy. De toutes manières l’indignation, même justifiée, reste un mouvement de l’âme trop suspect pour qu’un prêtre s’y abandonne. Et je sens aussi qu’il y a toujours quelque chose dans ma colère lorsqu’on me force à parler du riche — du vrai riche, du riche en esprit — le seul riche n’eût-il en poche qu’un denier — l’homme d’argent, comme ils l’appellent… Un homme d’argent !

— Votre réflexion me surprend, a dit M. le doyen d’un ton sec. J’y crois discerner quelque rancune, quelque aigreur… Mon enfant, a-t-il repris d’une voix plus douce, je crains que vos succès scolaires n’aient jadis un peu faussé votre jugement. Le séminaire n’est pas le monde. La vie au séminaire n’est pas la vie. Il faudrait sans doute bien peu de chose pour faire de vous un intellectuel, c’est-à-dire un révolté, un contempteur systématique des supériorités sociales qui ne sont point fondées sur l’esprit. Dieu nous préserve des réformateurs !

— Monsieur le doyen, beaucoup de saints l’ont été pourtant.

— Dieu nous préserve aussi des saints ! Ne protestez pas, ce n’est d’ailleurs qu’une boutade, écoutez-moi d’abord. Vous savez parfaitement que l’Église n’élève sur ses autels, et le plus souvent longtemps après leur mort,