Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

digérée par les banques, l’aristocratie se meurt, le prolétariat nous échappe, et vous iriez proposer aux classes moyennes de résoudre sur-le-champ, avec éclat, un problème de conscience dont la solution demande beaucoup de temps, de mesure, de tact. L’esclavage n’était-il pas une plus grande offense à la loi de Dieu ? Et cependant les apôtres… À votre âge on a volontiers des jugements absolus. Méfiez-vous de ce travers. Ne donnez pas dans l’abstrait, voyez les hommes. Et tenez, justement, cette famille Pamyre, elle pourrait servir d’exemple, d’illustration à la thèse que je viens d’exposer. Le grand-père était un simple ouvrier maçon, anticlérical notoire, socialiste même. Notre vénéré confrère de Bazancourt se souvient de l’avoir vu poser culotte sur le seuil de sa porte, au passage d’une procession. Il a d’abord acheté un petit commerce de vins et liqueurs, assez mal famé. Deux ans plus tard son fils, élevé au collège communal, est entré dans une bonne famille, les Delannoy, qui avaient un neveu curé, du côté de Brogelonne. La fille, débrouillarde, a ouvert une épicerie, le vieux, naturellement, s’est occupé de la chose, on l’a vu courir les routes, d’un bout de l’année à l’autre, dans sa carriole. C’est lui qui a payé la pension de ses petits-enfants au collège diocésain de Montreuil. Ça le flattait de les voir camarades avec des nobles, et d’ailleurs il n’était plus socialiste depuis longtemps, les employés le craignaient comme