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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/142

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L’IMPOSTURE

— La patience ! tonna Pernichon.

Il essaya vainement de ravaler sa salive. Sa gorge était serrée comme par une convulsion tétanique, et il y sentait à grands coups battre son cœur. Enfin les mots trouvèrent leur issue, sa colère jaillit ainsi qu’un flot de sang.

— L’inopportunité ! La patience ! cria-t-il. Je verrais donc perdre en un moment le fruit du travail de dix-huit mois ! Alors que dimanche encore, vous, monsieur Catani, vous-même, corrigiez de vos propres mains mes notes sur l’affaire de Haguenau ! La patience ! Quelle atroce plaisanterie ! Comme si vous ne saviez pas mieux que moi que ces sortes d’enquêtes, qui exigent un labeur énorme, doivent paraître à leur heure, sont étroitement liées aux événements qui les inspirent ! Comme si…

— Mais publiez-la quand même, jeune homme ! grinça le vicomte Lavoine de Duras dans le tumulte. Quel incroyable scandale !

— La publier ? dit Pernichon. Où la publier désormais ! Je vois clairement la manœuvre. On s’est joué de moi. Je suis étranglé. Car mon directeur ne supportera pas cette dernière déception : ma chronique disparaîtra des colonnes de l’Aurore nouvelle. On m’aura volé jusqu’à mon pain. Oui ! tandis qu’on m’encourageait à une initiative aussi dangereuse, aussi hardie, qui devait consacrer ma carrière ou la compromettre sans retour, toutes les précautions étaient prises pour retarder la publication, puis la rendre impossible au dernier moment.

— Je ne vous permets pas ! commença M. Catani.

Mais il dut aussitôt serrer son mouchoir sur sa bouche