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L’IMPOSTURE

— Asseyez-vous ! répondit M. Guérou, impassible. Vous ne comprenez pas. Qu’est-ce que cela peut vous faire, cher ami ?

Il était beaucoup plus pâle que de coutume, et bien qu’il souriât encore vaguement (par habitude), on eût pu deviner à un certain sifflement de ses narines, à un certain pli de ses énormes bajoues striées de rouge et de bleu, qu’il serrait fortement les mâchoires. D’ailleurs, personne ne parut remarquer cette espèce d’exaltation. Le vicomte Lavoine de Duras s’assit.

— N’insistez pas, Pernichon ! dit M. Jérôme. Vous répondrez plus tard… Vous expliquerez…

— J’approuve, j’approuve entièrement, paternellement… commença Mgr Espelette rose et confus.

Mais le publiciste auvergnat, pendant cette rapide passe d’armes, et toujours debout, n’avait fait que présenter tour à tour, à chacun des interlocuteurs, son front blême, ainsi qu’une bête acculée. M. Catani s’agita douloureusement sur sa chaise, puis se tint tranquille, et parut résigné à tout entendre. Le silence fut tel qu’on entendit distinctement M. Pernichon reprendre haleine.

— On ne me fera pas taire ! dit-il enfin… Mon enquête sera publiée coûte que coûte. Je me défendrai.

M. Catani interrogea des yeux Mgr Espelette, puis Jérôme, puis Guérou. Alors seulement, il murmura, et si bas qu’on l’entendit mal :

— Contre qui ?

— Contre vous ! cria Pernichon de la même voix glapissante qui avait exaspéré Mme Jérôme. Demain, il serait trop tard : je ne vous retrouverais plus. D’ailleurs ce que je fais est peut-être inutile : n’importe !… Mon-