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L’IMPOSTURE

bouche. Un silence étrange, un silence stupide régna aussitôt. Nulle force au monde n’eût empêché les spectateurs de se tourner vers la victime, pour voir si le coup avait porté. L’histoire de l’abbé Dardelle est, en effet, l’épisode le plus tragique (le plus incroyable aussi) de la ténébreuse carrière de M. Catani. Le chroniqueur, alors connu surtout par ses intrigues auprès d’un évêque malheureux, exécuté depuis, passe, à tort ou à raison, pour avoir fait signer par ce jeune prêtre, inoffensif poète lyrique égaré dans la controverse moderniste, une petite brochure pleine de sucs et de poisons, qui, bien que tirée en secret, à un nombre minime d’exemplaires adressés tous à des amis sûrs, valut à son auteur supposé un blâme public et déshonorant, puis la censure et l’interdit. Son détestable et faible cœur n’en put supporter l’humiliation. Réfugié en Belgique, il acheva son désastre en épousant une maîtresse de piano wagnérienne, son aînée de vingt ans, laide et dure, qu’il aimait. Enfin, après avoir professé quelques mois dans une Université populaire de Liège, fondée par l’apôtre socialiste Vandeverde, il se tua d’une balle au front, le 15 juin 1907. Il léguait, dit-on, sa bibliothèque, le manuscrit d’une thèse, des vers inédits et sa mandoline à M. Catani.

Le vicomte Lavoine de Duras, saluant gravement, mais de loin, M. Guérou, traversa lentement la pièce et sortit. M. Pernichon, atterré de sa propre audace, ou peut-être délivré, suivait docilement Mme Jérôme, se laissait faire ainsi qu’un enfant. Sur sa barbe brune, un mince jet de salive pendait comme un fil d’argent.

Mais la violence de l’injure parut rendre à M. Catani quelque chose de cette impassibilité célèbre, où