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L’IMPOSTURE

avez cru, en toute bonne foi, ne devoir qu’à votre intelligence, qu’à votre talent, un petit succès mérité plutôt peut-être, au jugement des meilleurs et des plus clairvoyants de vos amis, par votre réputation d’excellent jeune homme, votre bonne conduite, votre esprit sérieux et réfléchi. Vous venez de dissiper ce soir une partie de cet inestimable trésor, ce qui vous en restait, du moins, car nous sommes quelques-uns à connaître… à savoir… Enfin vous aviez rêvé un riche établissement… Ceci n’est un secret pour personne. Le nom que je ne prononce pas est sur toutes les lèvres… Une si grande espérance vous a tourné la tête… Votre âge, cher Pernichon, nous autorise, je le crois, à parler ici, entre nous, librement, paternellement, de vos petites affaires. Le patrimoine d’un jeune homme sans expérience est un peu la chose de tous, est sous le contrôle et la protection des gens de bien. Les soucis d’argent — alors qu’on est près de toucher le but, qu’on n’a plus devant soi que cet obstacle abject — durcissent le cœur, vous rendent capables de beaucoup d’imprudence, et peut-être d’infamies, telles que — n’en disons rien ! — Enfin…

— Vous êtes le plus indulgent, le plus noble cœur que j’aie jamais connu ! s’écria Mgr Espelette.

Et dans son enthousiasme, il prit la main luisante et la pressa sur sa poitrine.

Mais M. Catani ne souleva même pas les paupières. Il parlait d’ailleurs avec une lassitude accrue, à grand’peine, comme s’il récitait une ennuyeuse leçon apprise par force, et qu’il eût hâte d’en finir au plus tôt. Bien que la riposte fût merveilleusement celle qu’on attendait de lui, ceux qui l’écoutaient y cherchaient en