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L’IMPOSTURE

— Un mot d’abord ! interrompit Mgr Espelette avec une grande autorité. Retirez, retirez devant moi, à l’instant, les paroles malheureuses, impies… que vous avez prononcées.

— Quelles paroles ? demanda l’Auvergnat, béant.

— Vous le voyez ! J’en étais sûr ! triompha l’évêque de Paumiers. Vous n’avez jamais été sérieusement tenté de vous livrer sur vous-même… de commettre le crime des crimes… Dieu ne nous abandonne jamais ! Vous pouvez poursuivre, conclut-il sur un ton de supériorité discrète. Je vous écoute.

— Hein ? dit Pernichon.

— Vous avez prononcé tout à l’heure le nom du cardinal Riccoti…

— Je pourrais évidemment faire des excuses, continua l’auteur des Lettres de Rome… mais à quoi bon ? Il y a eu trop de témoins… D’ailleurs, M. Catani est désormais assez prévenu contre moi… Il devra se défendre… Son intérêt l’exige…

— Si vous croyez que mon intervention ait chance de vous être utile ? demanda Mgr Espelette. Je retarderais volontiers mon départ. Voyez-vous, mon cher enfant (car, après ce qui vient de se passer, je me sens autorisé à vous parler en père), il n’est rien de plus dangereux, de plus maladroit, que d’irriter vainement un ennemi, pour rien, pour le plaisir, pour la seule joie de l’humilier. Dieu seul est juge des intentions. Notre devoir est de ne jamais condamner — du moins jusqu’à la limite extrême où la bienveillance devient aveuglement ridicule — un adversaire sur ses intentions… Je puis essayer de faire comprendre à M. Catani que vous avez cédé à un entraînement excusable