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L’IMPOSTURE

mon modeste travail d’historien absorbe le plus clair de mon temps. Ce n’est pas, d’ailleurs, à un critique aussi discuté qu’un pieux jeune homme devrait demander l’absolution… Je ne vous refuse certes pas mes conseils si vous y trouvez quelque profit, mais je désire que vous recouriez désormais, au moins pour la matière du sacrement, à un autre prêtre que moi. Le choix vous est aisé… Vous ne manquez pas de relations avantageuses, s’il vous déplaît trop de vous adresser à quelque vicaire de paroisse, trop simple… Je vous écoute donc aujourd’hui pour la dernière fois.

Ils gagnèrent une extrémité de l’immense pièce où le chanoine s’assit sur une simple chaise de paille, du modèle le plus vulgaire, auprès d’un prie-Dieu de même aspect, sur lequel s’agenouilla son pénitent. Pour agrandir son bureau — sa librairie, disait-il — l’abbé Cénabre avait fait abattre la cloison, et découvert à cette place un cabinet de débarras, aux murs blanchis à la chaux, pavé de grands carreaux rouges. C’était comme si la Pauvreté, tant haïe, eût tout à coup fait irruption, la frêle muraille éventrée, dans la célèbre bibliothèque dont le luxe sévère a pour l’amateur seulement des détails exquis. Le contraste parut précieux au génie de l’abbé Cénabre. Il meubla sommairement ce coin désolé d’une mauvaise table, de chaises à la paille dorée par l’usage, et d’une simple étagère, mais où l’homme de goût peut admirer la plus jolie collection, et la plus rare, de ces missels aux reliures naïves, reliques à travers les âges de la piété paysanne. Au mur nu pend une Croix. Et par un raffinement suprême, c’est la seule dans la maison.