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L’IMPOSTURE

libres, ce ne sont, entre nous, que des bonshommes ennuyeux. Témoin ce Loisy, que j’ai tant aimé, devenu un pédant rageur et qui m’assomme… Mais Ludovic !

Mgr Espelette m’a donné ce conseil, en effet, avoua Pernichon. Il a toujours été très bon, très bienveillant…

— La bienveillance même ! cria M. Guérou d’une voix aiguë. N’allez pas prendre au tragique une plaisanterie amicale ! Venons-en plutôt aux choses sérieuses : Vous voulez vous venger de M. Catani ? eh bien, j’ai là dans un de mes tiroirs, pour vous, rien que pour vous…

Il appuya sur un timbre.

— Je vous jure ! protesta l’Auvergnat au désespoir.

— Ne jurez pas, continua paisiblement M. Guérou, vous me remercierez tout à l’heure. Les plus grands de nos plaisirs, jeune homme, sont ceux que nous repoussons d’abord, parce que nous craignons sottement pour notre fragile machine… Nous sommes encore plus paresseux pour jouir que pour souffrir, est-ce bête ?…

Il sonna de nouveau.

— J’appelle mon infirmier, expliqua-t-il, déjà oppressé sans doute à la pensée de l’effort qu’il allait tenter. Depuis des mois, je ne puis plus me passer de ses soins. C’est un serviteur dévoué.

À l’instant même, ce serviteur dévoué parut sur le seuil, et Pernichon vit avec stupeur un vigoureux gaillard, serré dans un tablier bleu de garçon jardinier, le visage barré d’une épaisse moustache d’un noir de jais, les manches retroussées sur des bras énormes et velus.