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L’IMPOSTURE

(il frappa du plat de la main sur la liasse) de quoi gêner furieusement le vieux Catani, et quelques autres. Ne vous troublez pas : ce n’est rien, c’est le plus insignifiant de mes petits dossiers – une collection unique ! Depuis vingt ans, je classe, je mets en ordre, je bourre ma mine : voilà mon œuvre.

— Je ne comprends pas pourquoi… ce qui me vaut… protesta timidement Pernichon, rouge de honte.

— Nous y voilà, dit l’infirme. Vous êtes venu à propos, rien de plus… J’ai de tristes pressentiments, jeune homme, cela ne va guère, je ne vivrai pas longtemps ici, je n’aurais pas dû quitter Barfleur, j’ai rompu des habitudes. Bref, je me sens de la pitié pour vous. Je ne suis plus capable d’admirer grand’chose, mais j’ai apprécié votre audace, je vous ai trouvé courageux.

— Ne vous moquez pas de moi, murmura Pernichon. Je n’ai montré aucun courage : je me suis laissé emporter. Je suis réellement très malheureux.

— Le vrai courage s’ignore soi-même, déclara M. Guérou. Vous vous jugez mal. Pour moi, je vois votre pensée comme dans un miroir. Hein ? Vous n’en pouvez plus, vous êtes à bout. Vous iriez baiser la main de Catani, ramasser votre pardon avec les gencives, que sais-je ? Hein ? Vous iriez ? Ce serait bon. Au lieu qu’il vous faut entamer la lutte, rendre coup pour coup, faire le brave.

— Je ne ferai rien de pareil, monsieur, dit Pernichon, vous le savez bien. Même si j’étais capable d’utiliser les armes que vous mettez à ma disposition, on n’aurait pas beaucoup de peine à les retirer de mes mains. Et pour demander pardon à M. Catani, il