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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/210

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L’IMPOSTURE

il jaillissait à la surface de la conscience, il se sentait atteint à l’un des points vifs de l’être. C’était, par exemple, à l’une de ces messes matinales qu’il célébrait d’ordinaire avec une indifférence absolue, attentif seulement aux gestes, aux paroles qu’il articulait soigneusement, même à voix basse, comme soucieux de ne pas s’abaisser à une ruse inutile, d’en donner aux auditeurs pour leur argent. Après avoir hésité quelques jours, il prononçait à présent la formule de la consécration non pas, à ce qu’il pensait du moins, par goût secret du sacrilège, mais parce qu’il lui semblait indigne de lui de duper, même par une inoffensive omission les vieilles femmes qui, un instant plus tard, viendraient s’agenouiller à la Sainte Table… Et soudain ce point de souffrance aiguë l’arrêtait net, le clouait sur place pour une longue minute, parfois dans l’attitude la plus incommode, les bras levés présentant l’hostie à la croix, ou la main dressée pour bénir. Il sortait alors de lui comme on sort d’un songe, se regardait faire, non pas avec terreur mais seulement une immense curiosité. Curiosité impossible à définir, d’une nuance si pathétique à la fois et si délicate qu’on désespère d’en donner une analyse qui ne la trahisse point. Rien qui ressemblât moins à quelque repentir, même informe, à un mouvement de la grâce, ou simplement à la crainte. Bien au contraire il lui semblait alors que ce qui pouvait subsister en lui de douloureux ou de sensible se refermait brusquement et dans la suspension d’une extraordinaire attente, il se sentait pétrifié. Attente est certes ici le mot qui convient, pourvu qu’on lui donne un sens absolu. À la fois acteur et témoin de ce phénomène étrange, il atten-