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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/24

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L’IMPOSTURE

existe par elle-même, qu’elle ait son histoire, son caractère propre et singulier.

— Devrait-on accumuler les faiblesses pour mériter d’être réputé une âme haute, un grand cœur ! dit timidement Pernichon, que le sens de ces paroles assez obscures irritait moins que leur accent. Je vous écoute dans un esprit de soumission, mais si sévèrement que je me juge, il ne m’est pas défendu d’avoir conscience des efforts que j’ai faits, des tentations que j’ai surmontées ! Si je n’ai pu, hélas ! avancer bien loin dans la voie de la perfection, au moins ai-je maintenu ma ligne de résistance morale, suis-je resté sur place. La blessure est encore ouverte, j’en conviens ; grâce à Dieu, le mal ne m’a pas dévoré.

Il ronflait d’émotion entre ses mains, et son front, de nouveau, se couvrit de sueur.

— Ce dernier entretien sera poussé jusqu’au bout, reprit la voix, dans votre intérêt, mon ami, et encore pour ma délivrance. Je devrais me reprocher d’avoir tardé si longtemps. Observez comme ce premier coup de sonde a porté juste, et quel cri révélateur il tire de vous. J’ai vu éclater l’abcès, mon enfant.

— Mon père, dit Pernichon, étouffé de surprise et de colère, je ne m’explique pas votre dureté.

— En vous écoutant, déjà bien des fois, à cette même place, j’avais ce mot sur les lèvres : Vous croyez-vous donc vivant ?

— Je ne pense pas, répéta l’autre, qu’un véritable zèle apostolique s’exprime avec cette sorte de haine.

À ces paroles, et comme si le seul mot de haine l’eût touché, l’abbé Cénabre faillit perdre son habituelle maîtrise de soi. Il rougit, frappa vivement la table de