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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/240

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L’IMPOSTURE

de bon Dieu quel oiseau ! — un fondant rose, patron ! toute jeunette, et frisée, une gosse, quoi ! Elle venait m’essuyer avec son petit mouchoir de soie et puis, vlan ! vlan !… c’est elle qui tapait le plus fort, et juste. Elle disait encore que je ressemblais à défunt son papa les jours qu’il s’était bu, après s’être assommé avec les copains. Mais où vous allez rigoler…

— Vous mentez, dit l’abbé Cénabre, de sa voix lente et basse. Je pourrais vous dire à quelle seconde exactement vous avez recommencé de mentir. Je lis votre mensonge à mesure, entendez-vous ! je le vois dans votre ignoble cœur, imbécile ! Gardez vos sales histoires pour un autre que moi. Mais attendez ! je n’en ai pas fini avec vous. S’il y a encore quelque chose là-dedans — il poussa son doigt si fort au creux de la poitrine encore haletante que le misérable ne put se retenir de geindre — je l’en tirerai.

Il sentait sous sa main frémir le pauvre corps sans défense, et il n’avait aucune pitié. Il fixait son regard dans les yeux pâles qui n’osaient même pas se détourner, se livraient tels quels, ainsi que d’un chien rossé, impatient d’obéir, et qui ne comprend pas. La stupidité du vieil ivrogne, son atroce candeur, ne lui apparaissaient même plus : il n’était sensible qu’à cette dégradation, cette forme réelle et vivante d’une abjection qu’il n’avait jamais connue, à peine devinée ou pressentie, enfin découverte, et dont il subissait l’effrayant prestige. Que pesaient, que devaient peser, devant un tel spectacle, les calculs, les ingénieuses hypothèses de l’historien psychologue si fier de ses travaux de laboratoire ? La même impatience, la même avidité de connaître, de pénétrer et de posséder la