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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/243

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L’IMPOSTURE

déjà fait passer le billet du creux de son giron dans la tige de sa chaussure, qu’il continua de tenir un moment du bout des doigts, d’un air d’indifférence et de distraction. À peine entendit-on l’imperceptible froissement du papier.

— Vous venez de prendre là une précaution bien inutile, dit tranquillement l’abbé Cénabre : je ne reprends jamais ce que j’ai donné. Mais écoutez-moi : vous en aurez peut-être un autre semblable, pourvu que vous consentiez à parler comme un homme et non comme une bête.

— C’est juste, fit l’homme (une espèce de rougeur inattendue, effrayante, parut et disparut presque aussitôt sur ses joues et sur son front). Puis il se remit à geindre, d’abord doucement, de plus en plus fort, et tout à coup si bruyamment que, pour le faire taire, l’abbé Cénabre dut le frapper rudement sur l’épaule. Le vieux corps était agité d’un tremblement convulsif, sans doute à demi volontaire, car une extraordinaire grimace exprimait autant la ruse que la douleur ou l’effroi.

— Je ne suis pas nourri, gémit-il. Ça n’est pas du travail pour un homme pas nourri. Des questions pareilles !… Et qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte sur ma jeunesse, bon Dieu ! Je m’aurais tourné les sangs avant de vous avoir trouvé une histoire, comme ça, en cinq secs… A-t-on idée ! D’abord et d’une, défunte ma mère était une…

— Vous allez mentir encore, lui dit l’abbé Cénabre, de sa voix calme.

— Que je sois !… commença le voyou en levant solennellement la main pour un serment, mais il