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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/247

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L’IMPOSTURE

— Je sais ce que c’est, reprit-il d’une voix sinistre : je ne suis pas si bête. Vous êtes un type à me voler mon polichinelle. Qu’est-ce que ça peut vous foutre que j’aie été jeune ou non ? Et vous me le prendrez, nom de Dieu ! J’ai pas de défense, je ne suis pas un homme. Pour dire le mot de la chose, je… je…

Il frissonna comme si un coup de vent glacé l’eût souffleté des profondeurs. Et ni l’abbé Cénabre, ni personne, ne connut jamais le mot de la chose.

— À l’école — vous parlez — une belle saleté. J’étais pas nourri non plus à l’époque mais je savais déjà y faire. Sans me vanter, j’aime à être maltraité, c’est dans le sang. Je ne veux pas qu’on me respecte : leur respect, je l’ai où je veux dire. Ils me font rigoler. Est-ce que je me respecte, moi ? Des nèfles. Une supposition que je me respecte, je pourrais crever. Et ce n’est pas seulement pour la chose de ne pas crever, c’est pour l’agrément, quoi ? hein ? ça me plaît. Hein, patron ? Toujours à l’école, que vous dites, des gars comme moi, des pauvres gars mal foutus, ça se garait, ça vous filochait entre les jambes pareils à des rats, tout pareils, les deux mains sur leur petit der rapport aux coups de pompe, ah ! les vaches. Moi, je me collais aux grands, aux marles, aux rigolos — il y a toujours à prendre, il y a toujours profit, faut savoir, faut être mou. Une paire de claques, vous ne m’auriez pas seulement entendu renifler. C’était leur plaisir. Et puis après, des douceurs — vous comprenez, patron ? Une bille par-ci, une croûte par-là, autre chose encore. Ils m’avaient donné un nom de fille, et un surnom que je peux pas vous répéter, sans offense. Il y avait aussi un nommé Poitrine, Poitrine Amédée, le fils d’un