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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/257

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L’IMPOSTURE

les ressorts délicats. À chaque mouvement la petite bête brisée faisait entendre le cliquetis des mécaniques mortes, la détente folle cédant sous le doigt, la culasse glissant à fond dans la rainure, et il finissait par remettre l’arme dans sa gaine, avec un frémissement de plaisir… Cette fois, il pinça fortement les lèvres.

Même le souvenir du péril couru jadis, à la même place, ne pouvait lui faire illusion : l’image de la mort ou du crime était impuissante à cacher à ses yeux la médiocrité du minuscule univers où il avait voulu enfermer sa vie. Mais il le défiait à présent, il se sentait plus fort que lui. Il n’était plus dupe du décor, d’aucun décor. Il contemplait celui-ci avec un dégoût lucide, dont il n’était pas près sans doute d’épuiser les délices. Fermant les yeux, il imaginait l’homme errant lâché tout vif entre ces murs sévères, il écoutait son pas inégal sur le parquet ciré, il pressait de nouveau contre sa poitrine le misérable fardeau. L’hallucination fut si forte qu’il cracha devant lui, entre ses deux souliers pleins de poussière, sur le coussin de soie. Ayant fait, il s’endormit.