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L’IMPOSTURE

sensualité suffit à peine à exercer utilement votre malice. Que me parlez-vous de lutte intérieure ? Je vois trop clairement les pensées suspectes, les désirs refroidis, l’acte avorté. Qui réaliserait ces fantômes vous ferait un tort bien cruel. C’est justement cette ombre que votre appétit veut consommer, non pas une chose vivante. Je vous parle ici plutôt en savant qu’en prêtre : le débauché se va jeter comme un dément sur les voluptés qu’il presse et, dans l’excès de sa folie, il offre du moins au regard le spectacle d’un homme qui ne se ménage pas… Mais vous !… Mais vous… Votre vie intérieure, mon enfant, porte le signe moins.

Volontairement ou non, l’air siffla entre les lèvres de Pernichon, comme d’un baigneur surpris par le froid.

— L’idée que vous avez de vous-même, reprit la voix avec une sorte d’affreuse tendresse, n’est pas fausse : il en est d’elle comme de ces formules mathématiques, dont il faut seulement intervertir les signes. Votre médiocrité tend naturellement vers le néant, l’état d’indifférence entre le mal et le bien. Le pénible entretien de quelques vices vous donne seul l’illusion de la vie.

À ces mots, M. Pernichon se leva, mais il resta debout et muet devant son bourreau.

— L’expérience de la vie — et plus encore mes modestes travaux historiques — reprit l’abbé Cénabre, m’ont enseigné le petit nombre de vies positives…

— Je respecte assez votre caractère et votre personne, dit tout à coup le publiciste avec une espèce de dignité, pour vous laisser achever. Mais vos injustes paroles sont de celles auxquelles on ne répond pas.