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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/272

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L’IMPOSTURE

très bien des apparences, de la mine, que sais-je ? Le croiriez-vous, madame de la Follette ? J’ai si peu l’habitude de m’observer que mon propre visage même ne m’est pas — comment dirais-je ? — trop familier… Jusqu’à ces derniers jours, je me regardais rarement dans la glace, c’est un fait.

— Que voulez-vous que je vous dise, monsieur Chevance ? De plus mauvaise mine, il n’y en a pas. Après ça vous vivrez peut-être cent ans ? Sait-on ? Je vous le souhaite. N’empêche que vous n’avez pas beaucoup d’amour-propre pour aller demander de la sympathie, et des consolations, et des renseignements et tout, à une étrangère qui, elle, ne vous a jamais rien demandé que son dû…

Le pauvre prêtre porta vivement les deux mains au creux de ses reins, et se renversant légèrement, tendit vers le mur son misérable visage dont toutes les rides se creusèrent à la fois. L’espèce de souffrance hallucinée qui traversa tout à coup son regard fut telle que la concierge tourna la tête et fit mine, par décence, d’essuyer un verre avec le coin de son tablier.

— Vous voyez, vous voyez, disait l’abbé Chevance de sa voix douce et paysanne, c’est sérieux, madame de la Follette, c’est très sérieux… Ah ! si Son Éminence m’avait vu ainsi, j’étais perdu. J’ai tant répété à ces Messieurs que j’avais une santé de fer ! Cela me tient aux reins, madame de la Follette… qu’est-ce que ça peut bien être ?

Il s’essuyait gravement le front, de son mouchoir roulé et serré dans ses doigts.

— Pour moi, vous aurez fait un effort, probable.

— Mon Dieu ! je l’ai d’abord cru, fit-il piteusement.