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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/275

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L’IMPOSTURE

maigres épaules était si pressante que la grosse femme obscure, dans son coin d’ombre, reculait lentement, hochait la tête, sa large face bouleversée par une sorte de mélancolie. Elle disparut.

Alors, l’abbé Chevance s’assit au bord de son lit, et ferma les yeux. Une petite brise entrait par la fenêtre ouverte, et il lui présentait son visage, il en cherchait humblement la caresse, avec un frémissement de fatigue. La souffrance vague, mais profonde, essentielle, qu’il endurait depuis un temps (il n’eût su dire quel temps) était à cette minute comme engourdie, ou plutôt il la sentait plus vague encore, diffuse insidieusement répandue à travers le corps entier, charriée par le sang et la lymphe, partout présente. Un autre que lui eût sans doute épuisé tôt son courage dans une lutte inégale, gaspillé en quelques jours les réserves de l’âme dont chaque homme n’a ici-bas que sa juste mesure, mais il durait cependant, par un miracle de douceur et d’abandon, une docilité céleste. Ainsi qu’un enfant ouvre ses petits bras à la mort par un geste sacré, il s’était livré du premier coup, incapable d’imaginer nulle défense, non pas seulement résigné à souffrir, mais dans l’extraordinaire ingénuité de son cœur, à souffrir petitement, bassement, lâchement, et à scandaliser le prochain. Il ne se méprisait même pas : il se prenait simplement en pitié, il déplorait son mal, comme il eût déploré celui d’un insecte, ou d’une de ces plantes innocentes qu’il achetait parfois, et qui se flétrissaient vite parce qu’il oubliait de les arroser.

— « Je suis naturellement frivole, » aimait-il à répéter de sa voix grave et chantante, voulant probablement exprimer par là qu’il manquait totalement