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L’IMPOSTURE

m’observez sans cesse : vous voyez en moi beaucoup de choses. Je ne les vois pas, moi. Non, je vous assure.

Elle ferma le poing, appuya dessus son menton, et les yeux mi-clos, son fin visage tendu par l’effort, elle dit doucement ;

— Je suis très, très simple, voilà tout.

Et elle pâlit aussitôt, comme si on lui eût arraché ce secret enfantin.

— Je te demande pardon, reprit M. de Clergerie ; je te fais peut-être du mal. Il est si difficile d’interroger sans offenser ! Certes, tu as une nature exquise, mais non, mais non !… cela n’explique pas tout… À dix-huit ans, on fait des rêves. Quels rêves fais-tu ?

— Des rêves ? demanda Mlle Chantal.

— Oui, enfin : des rêves d’avenir ?

— Oh ! je ne me soucie pas de l’avenir, fit-elle en secouant la tête. Vous y avez pourvu : à quoi bon ?

— Comprends-moi donc : tu n’es pas de ces têtes légères qui ne peuvent rien prévoir au delà du lendemain. Tu as au contraire l’attitude, le regard, la voix, — que sais-je ? — la sérénité d’une femme qui a fait son choix, pris parti. Car enfin, cette espèce d’allégresse a un sens. Lequel ? tu ne rêves pas, dis-tu ? Hé bien, ton silence même est plein d’un rêve qui te fait sourire à ton insu.

Elle laissa tomber ses bras, découragée.

— Que voulez-vous que je réponde, papa ? fit-elle. Je suis ainsi ; ne vous fâchez pas ; il me semble que je ne pourrais être autrement. L’avenir ne me fait pas peur, il ne me fait pas envie non plus. Les grandes épreuves sont pour les grandes âmes, n’est-ce pas ? Les petites passent tout doucement au travers… Hé