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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/30

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L’IMPOSTURE

une confusion pire… Pour la première fois peut-être, sa pauvre âme creva son enveloppe et parut blême et hagarde aux propres yeux de Pernichon pour disparaître aussitôt, ainsi qu’un rêve égaré dans le matin… Et ce n’était point tant les paroles de l’abbé Cénabre que la transfiguration de ce prêtre subtil et la contagion d’un rêve que trahissaient son attitude et sa voix — non ! ce n’était point de telles paroles restées si vagues dans la colère ou le mépris, qui eussent à elles seules arraché un instant le malheureux hors de sa gaine, ainsi qu’un muscle qui, sous les doigts du chirurgien, jaillit tout à coup de la peau. D’être réputé habile, ambitieux, profond calculateur de ses chances, ami douteux, prudent ennemi, n’était pas pour l’offenser ; mais ces dernières violences l’atteignaient à un lieu plus sensible, profond, secret, comme au point d’équilibre de son humble destin : l’habitude, devenue consubstantielle à sa pensée, d’une lutte intime, une opinion de lui-même soudain déracinée, le besoin de se classer, une certaine stabilité. La seule hypothèse — soudain vraisemblable — d’une vie sans réalité spirituelle introduite comme par effraction dans une conscience d’ordinaire si ménagée, en découvrait brutalement le désordre absolu. Que d’autres, qui tiennent de leurs actes un compte plus ou moins sévère (comme on observerait les étoiles sans lire les indications du compas) négligent dans leur calcul l’orientation de la volonté, la perversion de l’instinct !… Le terrible n’est pas de ces étrangers dont les routes croisent nos routes, mais dans ce propre visage que l’âme arrachée verra soudain face à face, et ne reconnaîtra pas.