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L’IMPOSTURE

n’était qu’à lui. À lui seul, Chevance, l’aveu arraché au désespoir et à la honte… « J’ai perdu la foi ! » — moins qu’un aveu, un cri, un cri sincère. De ce cri, n’était-il pas comptable à Dieu ? Presque chaque jour, par une admirable intuition de sa charité, il prononçait lui-même les paroles dont il avait horreur, comme s’il eût craint que ne fût oublié le dernier gémissement de l’orgueil terrassé, l’espèce de prière infirme telle qu’on en doit entendre au seuil même de l’enfer, et n’osant toutefois parler ainsi à son maître, il allait jeter ce secret au coin le plus obscur de la chapelle de la Vierge, en tremblant, parce que l’ineffable cœur maternel est incapable de rien refuser. Quelquefois même, dans l’excès de la tristesse, il avait rêvé d’un miracle, que la paix était de nouveau descendue sur le beau front impérieux, enfin courbé… « Je l’aurais revu, se disait-il. Je l’aurais revu ! Il m’aurait lui-même appelé ! » Son expérience des âmes, son humble sagacité ne pouvaient d’ailleurs lui laisser aucun doute : l’homme qu’il avait vu cette nuit-là n’était pas seulement exercé par une tentation ordinaire : il luttait pour la vie. L’issue d’une telle lutte ne saurait être équivoque. « Son premier mouvement, se disait encore l’abbé Chevance, eût été de me demander pardon. » Car il savait mieux que personne qu’il est presque toujours vain d’espérer forcer de telles âmes, ou les reprendre par surprise. Et il avait attendu, patiemment d’abord, puis avec angoisse, luttant seul contre le silence qu’il sentait se reformer autour du révolté, ainsi qu’une malédiction chaque jour plus pesante, seul confident, seul témoin. Sa terreur était de mourir trop tôt, d’emporter avec lui la dernière chance du