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L’IMPOSTURE

— Il a les yeux grands ouverts, dit Mlle de Clergerie. Je crois qu’il parle. Ah ! dites-moi, monsieur, qu’il ne mourra pas sans nous avoir au moins bénis !

— C’est un tempérament prodigieux… véritablement prodigieux… commença l’abbé Cénabre, mais le reste de ses paroles se perdit dans un murmure indistinct.

— Écoutez-moi… où êtes-vous ?… Cénabre ! cria l’abbé Chevance, d’une voix tremblante.

— Cette comédie a assez duré, ne trouvez-vous pas ? reprit le prêtre aigrement. Je pensais argumenter posément, raisonnablement, et depuis un moment, vous vous conduisez dans cette maison honorable comme un insensé. Oui, il faut que vous soyez fou, fou à lier, pour douter un instant que nous soyons seuls ici, alors que le moindre examen des lieux peut vous convaincre de ma parfaite loyauté. Je suppose, cher ami, que vous avez le délire. Mais agonisant ou non, — écoutez bien, Chevance ! — je vous défends de mourir chez moi.

— Oh ! je ne demande pas mieux de mourir, dit l’abbé Chevance. Seulement je vous supplie de ne pas me laisser mourir ainsi, dans ce noir, en aveugle. Que je voie encore une fois, une petite fois, rien qu’une fois, Cénabre ! Que je voie au moins vos yeux ! J’ai toujours été un homme inutile, et me voilà maintenant vide, tout à fait vide, à votre merci. Mais vous savez aussi bien que moi qu’une telle nuit, c’est comme l’enfer.

— Détrompez-vous, répondit l’abbé Cénabre : je poursuis une expérience des plus intéressantes, et voilà