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L’IMPOSTURE

c’était la croix nue pendue au mur. D’ailleurs le temps lui eût manqué d’un examen décisif. Car s’étant avancé brusquement, par un geste aussi prompt et aussi précis qu’une parade, l’abbé Cénabre empoigna la lampe et la brisa sur les dalles.

Le clair de lune entra aussitôt dans la chambre.

La violence du choc fut telle que la mèche s’éteignit sans doute avant d’avoir touché le sol. Du réservoir de cristal on entendit un moment l’huile de pétrole couler à petits coups. Puis ce dernier bruit s’effaça. Et il semblait que se fût effacé avec lui le souvenir du geste extraordinaire de ce prêtre célèbre dans les deux mondes pour son scepticisme élégant.

Une des singularités de l’abbé Cénabre est de n’accepter de soins domestiques que d’une vieille femme de ménage — sa nourrice, dit-on — qui tôt levée finit sa besogne dès midi, et ne reparaît plus. Autour de la courte et épaisse silhouette à peine visible dans le recueillement de la nuit, la solitude resta parfaite, le silence absolu. Puis cette silhouette se déplaça lentement, posément ; une porte claqua. Le clair de lune s’endormit dans la pièce vide. M. l’abbé Cénabre avait regagné sa chambre.

L’auteur des Mystiques florentins a longtemps dérouté la critique. Habile à s’emparer de l’attention, par surprise, son ambition ne va pas plus loin que séduire ; il disparaît avant de convaincre, laissant amis et adversaires dos à dos. Un parti s’est emparé de lui, comme il s’embarrasse de tout élément douteux, moins encore par goût du scandale, que par un besoin furieux de se masquer, de prendre un masque, de masquer son indigence. Dans la forte société spiri-