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L’IMPOSTURE

malaise, une gêne, une diminution de l’activité, ou sa déviation morbide. C’était tout cela, et bien autre chose encore. Mais en évitant de cerner le point douloureux, la souffrance reste vague, diffuse, plus aisément supportée. Ce qui n’était que mélancolie devient promptement remords, pourvu que l’on en discute avec soi-même. Et qui peut faire au remords une part équitable ? Ce fils maudit de la divine charité n’est pas moins avide : il n’a rien, s’il n’a tout.

Par malheur, et pour le scandale de la Bête matérialiste, il n’est pas bon, ni sûr, de se croire tout à fait à l’abri, dans son sac de peau, des entreprises de l’âme. Éviter de scruter les intentions, se contraindre à ne connaître de l’événement moral que son contre-coup sur le système vaso-dilatateur, mène à une déception très amère. L’homme peut bien se contredire, mais il ne peut entièrement se renier. L’examen de conscience est un exercice favorable, même aux professeurs d’amoralisme. Il définit nos remords, les nomme, et par ainsi les retient dans l’âme, comme en vase clos, sous la lumière de l’esprit. À les refouler sans cesse, craignez de leur donner une consistance et un, poids charnel. On préfère telle souffrance obscure à la nécessité de rougir de soi, mais vous avez introduit le péché dans l’épaisseur de votre chair, et le monstre n’y meurt pas, car sa nature est double. Il s’engraissera merveilleusement de votre sang, profitera comme un cancer, tenace, assidu, vous laissant vivre à votre guise, aller et venir, aussi sain en apparence, inquiet seulement. Vous irez ainsi de plus en plus secrètement séparé des autres et de vous-même, l’âme et le corps désunis par un divorce essentiel, dans cette demi-