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L’IMPOSTURE

vide qui s’ouvre, la vertigineuse plongée arrache enfin une parole à l’abbé Cénabre :

— Dieu ! dit-il.

Mais alors… un coup asséné n’arrive pas plus prompt… à peine effacée dans l’air la parole inconsistante, un silence inouï, formidable, tomba sur lui comme une masse de plomb. Telle fut la brusquerie de l’attaque, et si totale cette soudaine défaillance de l’âme, qu’il se jeta hors de son lit, s’échappa… La chambre vivait encore alentour sa pâle vie lumineuse, chaque objet à sa place ordinaire, et il voyait dans la glace son regard béant… mais il semblait que les choses eussent perdu chacune leur sens particulier, ne répondissent plus à leur nom, fussent muettes. Le regard lui-même exprimait à présent moins la terreur qu’une surprise absolue…

« Je ne crois plus », s’écria-t-il d’une voix sinistre.

La tentation nous exerce, le doute est un supplice sagace, mais l’abbé Cénabre ne doutait point, et il n’était pas tenté. De ces épreuves à la morne évidence exprimée par son dernier cri, il y avait justement ce qui distingue l’absence du néant. La place n’est pas vide, il n’y a pas de place du tout ; il n’y a rien.

À la lettre, il ne sentait ni regret, ni remords. Seul, l’étonnement d’un homme qui, croyant marcher dans une direction, connaîtrait qu’il a piétiné, que l’espace franchi n’est qu’un rêve. L’eût-il désiré (mais il ne le désirait point), sa raison se fût encore refusé d’admettre qu’il eût jamais différé de ce qu’il était, à ce moment