Aller au contenu

Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
L’IMPOSTURE

Il le vit glisser plutôt que marcher vers la porte, son chapeau sous le bras, si pâle, si las, d’un air de soumission si basse qu’une rage le prit de laisser échapper ce prêtre ridicule, avec son secret. Mais au fond du cœur sa déception était plus forte encore du silence qu’il ne pouvait rompre, de la solitude incompréhensible où depuis quelques heures il était tombé. Prières, menaces, mensonges, cris de fureur ou de désespoir, il semblait que rien ne pût dépasser le cercle enchanté. Il était comme un homme qui crie au bord de la mer.

La fureur l’emporta pourtant. La même haine mystérieuse cherchant toujours son objet, et qui l’avait déjà soulevé de colère contre le blême Pernichon, le jeta tout tremblant, face à un nouvel adversaire. Il ne mesura point son élan. Il étendit seulement le bras, et le frêle vieux prêtre pirouetta sur lui-même, cherchant vainement un appui de ses mains ouvertes. Les semelles cloutées glissèrent sur le parquet ciré. Il tomba sur les genoux, son chapeau à côté de lui, lamentable.

La honte, plutôt que la pitié, tira de l’abbé Cénabre une espèce de gémissement. Il restait muet devant sa grotesque victime, la discernant à peine, toute son attention tendue vers l’événement intérieur, le jaillissement irrésistible ; la force inconnue, surnaturelle… Qu’était, qu’était cette passion soudaine, frappant de tels coups dans sa poitrine ?

Il ne vit pas l’abbé Chevance se lever, il ne vit pas la vieille main s’emparer de la sienne, il n’entendit pas la voix pourtant si douce, encore frémissante d’une terreur enfantine, et soudain elle sonna terriblement