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L’IMPOSTURE

dont il était encore capable : une muette imploration, pas même : un effort de sympathie, moins peut-être : un mouvement de compassion pour sa propre déchéance.

Rien n’en parut au visage contracté de l’abbé Cénabre. Sa récente fureur s’y marquait encore, car le vertige l’avait saisi brusquement, traîtreusement. Aucun signe n’avait témoigné au dehors de la joie suspecte dont il avait connu la première et définitive possession, ou peut-être la figure humaine ne saurait-elle l’exprimer. Aucun signe ne témoigna non plus de sa suprême hésitation, du dernier faux pas sur la route implacable, et pourtant la miséricorde l’assaillait à son tour, se ruait sur lui. Si forte en fut l’étreinte, qu’il sembla que son corps même y répondît. Le regard ne s’adoucit point, mais il s’y forma, pour se dissiper aussitôt, une lueur hagarde, ainsi que d’un homme assommé. Son bras, sur la prière de l’abbé Chevance, se leva pour bénir. Il s’en fallut d’une imperceptible fraction de temps. La raison gagna de vitesse ; l’angoisse se fondit en un moment ; le rêve hideux s’ouvrit ainsi qu’une nuée, découvrant cette part stérile de l’âme que l’ironie avait dès longtemps consumée. Le sens critique, si vanté de l’éminent écrivain, l’emporta. Quelque chose, qu’il ne nommait déjà plus, s’écarta de lui, d’une fuite oblique. La scène tragique, dont il avait instantanément perdu le sens, la clef, ne lui parut plus que l’insupportable parodie d’un vrai drame, et il crut en découvrir la ridicule affectation. Sa pâleur, surprise de nouveau dans la glace, le tremblement de ses mains, tous les signes persistants d’une angoisse dont venait de se