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Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/69

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L’IMPOSTURE

scrupules, ses terreurs ! Vous le savez, mon ami, nous le savons tous. Aussi m’avez-vous déjà pardonné.

— Ah ! mon Dieu… sans doute… il est vrai… monsieur le chanoine, répondit l’autre avec un extraordinaire bégaiement, je n’ai pas… je ne puis véritablement… Comment pouvez-vous penser que je garde le souvenir de ces… enfin d’un…

Il ne put jamais achever. Le calme de son interlocuteur semblait agir sur lui comme un charme : il était visiblement à la merci de l’homme supérieur qui le fixait d’un regard dur.

— J’aurais moins sottement agi en suivant d’abord vos conseils, continua l’abbé Cénabre sans élever le ton, mais avec une force écrasante. Oui, dans une pareille conjoncture, se débattre est vain : se détourner d’une tentation vaut mieux que lui résister en face, et si j’avais présumé de mes forces, j’en suis bien assez puni. Il n’y a pas de meilleur remède, ni plus simple que la paisible observation de nos devoirs, dans un esprit de confiance et d’abandon. Mais il me reste néanmoins quelque chose à faire : il est bon, il est juste, que je répare en quelque mesure, non pas l’offense (votre charité y a pourvu) mais le scandale. Mon vénérable ami, je désire que vous m’entendiez en confession…

— Non, dit l’abbé Chevance.

La riposte partit comme une balle. Que le malheureux homme eût souhaité de la rattraper !

— J’estime à cette heure, balbutia-t-il… j’ai lieu de supposer… Bien loin d’émettre un jugement définitif… Puis comme si le courage lui eût décidément manqué, le reste de ses paroles se reperdait dans un bredouillement confus. Sa misérable tête s’inclina encore un peu