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L’IMPOSTURE

dedans (votre expérience des âmes en sait assez là-dessus), c’est du dedans qu’il faut reprendre et réformer. La tâche n’est pas aisée, mon ami, mais je ne la crois pas au-dessus de mes forces. J’étais, si vous voulez, inerte, insensible, non point mort : cette crise l’a prouvé. La recherche intellectuelle m’a détourné un temps de ma voie : néanmoins, je n’ai pas cessé d’aimer Dieu…

À ces mots, le prêtre qui avait écouté humblement ce discours embarrassé chancela comme d’une blessure reçue à la face. Une anxiété surhumaine éclata dans ses yeux, tandis que tout son vieux corps jeté en avant, toujours gauche même dans la terreur ou la colère, semblait protéger derrière lui une présence sacrée.

— Ne dites pas !… Ne dites pas, cria-t-il avec une violence sauvage… Non ! vous ne l’aimez pas !

Ce cri fut tel que l’abbé Cénabre s’écarta brusquement, leva le bras, ainsi qu’on pare un coup.

— Monsieur… mon cher ami… monsieur le chanoine, reprit-il, et cette fois d’une voix déchirante, ayez pitié de moi, ayez pitié d’un misérable auquel Dieu vous a remis aujourd’hui… Et je ne puis rien pour vous ! Je vous vois vous enfoncer comme un plomb. Mon Dieu ! j’aurai ce compte à rendre ! Il me sera demandé compte de vous ! Voulez-vous donc me perdre ? Je n’ai aucun pouvoir, aucune éloquence, je suis un prêtre stupide ! On ne me méprise pas assez. Il n’y a pas de cœur si lâche ! Pourquoi ai-je été choisi cette nuit ! Ce sont des raisons qu’il vous faudrait donner, une image vraie de vous-même, et je n’ai de votre malheur qu’une vision incommunicable !