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L’IMPOSTURE

aimait mieux contempler en face le nouveau désastre. Hélas ! il en pénétrait les causes, il l’analysait dans son demi-délire, avec une certaine lucidité. De cette liberté reconquise, qu’eût-il fait ? Elle venait trop tard, à supposer qu’il en eût jamais été digne. Après son enfance pauvre et sévère, la forte discipline à laquelle il s’était laissé soumettre restait encore la seule part solide, positive, de sa vie. Hors d’elle, hors de sa contrainte, à laquelle s’ajoute l’autre contrainte ineffable du mensonge, quel sens aurait-elle ? Quel but ? Quelle application de chaque jour ? Aucune autre règle ne l’eût entièrement contenté, et il était aussi trop vieux pour recommencer un nouveau mensonge. Il n’avait aucun vice à satisfaire, et il tenait d’ailleurs la plupart d’entre eux pour de folles, de stupides dissipations : il avait un mépris d’avare pour ces prodigalités… Alors, quoi ? Ne pouvait-il simplement tenir pour nulle une crise sans issue, reprendre sa tâche où il l’avait laissée la veille ? Cela resterait son secret, nul n’en aurait rien appris qu’un prêtre trop scrupuleux pour parler, ou qui ne rencontrerait que des incrédules. Ne pouvait-il… Hé bien, non ! il ne pouvait plus.

Sans qu’il essayât d’expliquer pourquoi, toute nouveauté le rebute, et cependant la coupure entre le présent et le passé semble bien nette, décisive. Il serait vain de prétendre que l’ancien, le laborieux mensonge de sa vie ait été inconscient, mais d’être seulement apparu évident, nu, dans la pleine lumière de l’âme, lui a retiré je ne sais quoi d’essentiel, un rien de trouble, d’équivoque indispensable, telles ces substances qui deviennent de violents poisons sitôt que leur équilibre chimique est rompu, en présence d’un