Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/40

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jeu de l’esprit. L’imbécile est sédentaire, mais il a toujours lu volontiers les récits d’explorateurs. Imaginez un de ces voyageurs en chambre qui s’aperçoit tout à coup que le plancher bouge. Il se jette à la fenêtre, l’ouvre, cherche la maison d’en face, reçoit en pleine figure l’écume sifflante, et découvre qu’il est parti. Le mot « départ » ne convient guère ici, d’ailleurs. Car si le regard de l’homme moderne ne peut plus se poser sur rien de fixe — cause insigne du mal de mer — le pauvre diable n’a pas l’impression d’aller quelque part. Je veux dire que ses embêtements sont toujours les mêmes, bien que multipliés en apparence, grâce à un effet de perspective. Aucune autre manière vraiment nouvelle de faire l’amour, aucune nouvelle manière de crever.

Tout cela est simple, très simple. Demain plus simple encore. Si simple qu’on ne pourra plus rien écrire d’intelligible sur le malheur des hommes dont les causes immédiates décourageront l’analyse. Les premiers symptômes d’une maladie mortelle fournissent au professeur le sujet de brillantes leçons, mais toutes les maladies mortelles présentent le même phénomène ultime, l’arrêt du cœur. Il n’y a pas grand’chose à dire là-dessus. Votre société ne mourra pas autrement. Vous discuterez encore des « pourquoi » et des « comment », et déjà les artères ne battront plus. L’image me semble juste, car la réforme des institutions vient trop tard lorsque la déception des peuples est devenue