Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/72

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conçue par les doctrinaires politiques, n’aboutiront qu’à créer dans sa masse des courants et contre-courants dont profitent les aventuriers. L’idée que je me fais du peuple ne m’est nullement inspirée par un sentiment démocratique. La démocratie est une invention d’intellectuels, au même titre, après tout, que la monarchie de M. Joseph de Maistre. La monarchie ne saurait vivre de thèses ou de synthèses. Non par goût, non par choix, mais par vocation profonde, ou si vous préférez, par nécessité, elle n’a jamais le temps de définir le peuple, elle doit le prendre tel qu’il est. Elle ne peut rien sans lui. Je crois, j’écrirais presque je crains, qu’il ne puisse rien sans elle. La Monarchie négocie avec les autres classes qui, par la complexité des intérêts qu’elles défendent et qui débordent le cadre national, seront toujours, en quelque mesure, des États dans l’État. C’est avec le peuple qu’elle gouverne. Vous me direz qu’elle l’oublie parfois. Alors elle meurt. Elle peut perdre la faveur des autres classes, il lui reste la ressource de les opposer les unes aux autres, de manœuvrer. Les besoins du peuple sont trop simples, d’un caractère trop concret, d’une nécessité trop pressante. Il exige du travail, du pain, et un honneur qui lui ressemble, aussi dépouillé que possible de tout raffinement psychologique, un honneur qui ressemble à son travail et à son pain. Les notaires, huissiers, avocats qui ont fait la révolution de 1793 s’imaginaient qu’on pouvait remettre indéfiniment la réalisation d’un pro-