Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/76

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pas apte à tout, ne saurait parler que de ce qu’il connaît, il comprend parfaitement que l’élection favorise les bavards. Qui bavarde sur le chantier est un fainéant. Laissé à lui-même, l’homme du peuple aurait la même conception du pouvoir que l’aristocrate — auquel il ressemble d’ailleurs par tant de traits — le pouvoir est à qui le prend, à qui se sent la force de le prendre. C’est pourquoi il ne donne pas au mot de dictateur exactement le même sens que nous. La classe moyenne appelle de ses vœux un dictateur, c’est-à-dire un protecteur qui gouverne à sa place, qui la dispense de gouverner. L’espèce de dictature dont rêve le peuple, c’est la sienne. Vous me répondrez que les politiciens feront de ce rêve une réalité bien différente. Soit. La nuance n’en est pas moins révélatrice.

Encore une fois, je n’écris pas ces pages à l’intention des gens du peuple, qui d’ailleurs se garderont bien de les lire. Je voudrais faire clairement entendre qu’aucune vie nationale n’est possible ni même concevable dès que le peuple a perdu son caractère propre, son originalité raciale et culturelle, n’est plus qu’un immense réservoir de manœuvres abrutis, complété par une minuscule pépinière de futurs bourgeois. Que les élites soient nationales ou non, la chose a beaucoup moins d’importance que vous ne pensez. Les élites du douzième siècle n’étaient guère nationales, celles du seizième non plus. C’est le peuple qui donne à chaque patrie son type original.