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HISTOIRE DE MOUCHETTE

paré son petit discours et s’étonnait de n’en plus retrouver un mot. D’abord il parla comme en rêve, attendant que la colère le délivrât.

— Monsieur le marquis, fit-il, il s’agit de notre fille.

— Ah !… dit l’autre.

— Je viens vous parler d’homme à homme. Depuis cinq jours qu’on s’est aperçu de la chose, j’ai réfléchi, j’ai pesé le pour et le contre ; il n’est que de parler pour s’entendre, et j’aime mieux vous voir avant d’aller plus loin. On n’est pas des sauvages, après tout !

— Aller où ?… demanda le marquis.

Puis il ajouta tranquillement, du même ton :

— Je ne me moque pas de vous, Malorthy, mais, nom d’une pipe, vous me proposez une charade ! Nous sommes, vous et moi, trop grands garçons pour ruser et tourner autour du pot. Voulez-vous que je parle à votre place ? Hé bien ! la petite est enceinte, et vous cherchez au petit-fils un papa… Ai-je bien dit ?

— L’enfant est de vous ! s’écria le brasseur, sans plus tarder.

Le calme du gros homme lui faisait froid dans le dos. Des arguments qu’il avait repassés un par un, irréfutables, il n’en trouvait pas qu’il eût osé seulement proposer. Dans sa cervelle, l’évidence se dissipait comme une fumée.