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Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/121

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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

ou la haine du grand que ces malheureux appellent prudence m’avaient rempli d’amertume. J’ai vu poursuivre l’homme supérieur comme une proie ; j’ai vu émietter les grandes âmes. Néanmoins j’ai horreur de la confusion, du désordre, le sens de l’autorité, de la hiérarchie. J’attendais qu’un de ces méconnus dépendît de moi, que j’en fusse comptable à Dieu. Cela m’avait été refusé ; je n’espérais plus. Et soudain… quand la force me va manquer…

— La déception vous sera cruelle, dit lentement l’abbé Demange. D’un autre que vous, cette illusion serait sans danger, mais hélas ! Je connais assez que vous ne vous engagez jamais à demi. Vous bouleverserez votre vie et, je le crains, celle d’un pauvre homme simple qui vous suivra sans vous comprendre… Toutefois la paix du Seigneur est dans vos yeux.

Il fit un geste d’abandon, marquant son désir de clore un singulier entretien. L’abbé Menou-Segrais le comprit.

— L’heure passe, dit-il en tirant sa montre. Je suis désolé que vous ne puissiez passer avec moi cette nuit de Noël… Vous trouverez dans la voiture la bonbonne de vieille eau-de-vie. Je l’ai fait emballer avec beaucoup de soin, mais le chemin est mauvais, et vous ferez sagement d’y veiller.