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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

L’expérience dont tant de sots me louent est à vos yeux sans profit pour les âmes, stérile. J’en pourrais dire plus long, cela suffit. Mon enfant, dans un cas si grave, les petits ménagements de politesse mondaine ne sont rien : ai-je bien exprimé votre sentiment ?

Aux premiers mots de cette étrange confession, l’abbé Donissan avait osé lever sur le terrible vieux prêtre un regard plein de stupeur. Il ne le baissa plus.

— J’exige une réponse, continua l’abbé Menou-Segrais, je l’attends de votre obéissance, avant de me prononcer sur rien. Vous avez le droit de me récuser. Je ne puis être votre juge en cette affaire : je ne serai point votre tentateur. À la question que j’ai posée, répondez simplement par oui ou par non.

— Je dois répondre oui, répliqua tout à coup l’abbé Donissan, d’un air calme… L’épreuve que vous m’imposez est bien dure ; je vous prie de ne pas la prolonger.

Mais les larmes jaillirent de ses yeux, et c’est à peine si l’abbé Menou-Segrais entendit les derniers mots, prononcés à voix basse. Le malheureux prêtre se reprochait avidement son timide appel à la pitié comme une faiblesse. Après un court débat intérieur, il continua cependant :