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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

… Mais c’est vous qui me formez, dit-il après un long silence.

À cette étonnante parole, l’abbé Donissan ne détourna même pas la tête. Ses yeux grands ouverts n’exprimaient aucune surprise ; et le doyen de Campagne vit seulement au mouvement de ses lèvres qu’il priait.

Ils n’ont pas su reconnaître le plus précieux des dons de l’Esprit, dit-il encore. Ils ne reconnaissent jamais rien. C’est Dieu qui nous nomme. Le nom que nous portons n’est qu’un nom d’emprunt… Mon enfant, l’esprit de force est en vous.

Les trois premiers coups de l’Angelus de l’aube tintèrent au dehors comme un avertissement solennel, mais ils ne l’entendirent pas. Les bûches croulaient doucement dans les cendres.

— Et maintenant, continua l’abbé Menou-Segrais, et maintenant j’ai besoin de vous. Non ! un autre que moi, à supposer qu’il eût vu si clair, n’eût pas osé vous parler comme je fais ce soir. Il le faut cependant. Nous sommes à cette heure de la vie (elle sonne pour chacun) où la vérité s’impose par elle-même d’une évidence irrésistible, où chacun de nous n’a qu’à étendre les bras pour monter d’un trait à la surface des ténèbres et jusqu’au soleil de Dieu. Alors, la prudence humaine n’est que pièges et folies. La