Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
LA TENTATION DU DÉSESPOIR

aveugle que le tragique désordre de cette âme encore soulevée de terreur, rendait sublime.

— Je vous demande la permission de me retirer, dit simplement le futur curé de Lumbres d’une voix mal affermie. En vous écoutant j’ai cru vraiment tomber dans le trouble et le désespoir, mais c’est fini maintenant… Je… je crois… être tel… que vous pouvez le désirer… et… Dieu ne permettra pas que je sois tenté au delà de mes forces.

Ayant dit, il disparut, et, derrière lui, la porte se refermait déjà sans bruit.

Dès lors, l’abbé Donissan connut la paix, une étrange paix, et qu’il n’osa d’abord sonder. Les mille liens qui retiennent ou ralentissent l’action s’étaient brisés tous ensemble ; l’homme extraordinaire, que la défiance ou la pusillanimité de ses supérieurs avait renfermé des années dans un invisible réseau, trouvait enfin devant lui le champ libre, et s’y déployait. Chaque obstacle, abordé de front, pliait sous lui. En quelques semaines l’effort de cette volonté que rien n’arrêtera plus désormais commença d’affranchir jusqu’à l’intelligence. Le jeune prêtre employait ses nuits à dévorer des livres, jadis refermés