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Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/146

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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

tracée de chemins difficiles, balayée d’une bise aigre, descend de la crête de la vallée de la Canche à la mer. Les maisons y sont rares, bâties à l’écart, entourées de pâturages, que défendent les fils de fer barbelés. À travers l’herbe glacée qui glisse et cède sous les talons, il faut parfois cheminer longtemps pour trouver à la fin, au milieu d’un petit lac de boue creusé par les sabots des bêtes, une mauvaise barrière de bois qui grince et résiste entre ses montants pourris. La ferme est quelque part, au creux d’un pli de terrain, et l’on ne voit dans l’air gris qu’un filet de fumée bleue, ou les deux brancards d’une charrette dressés vers le ciel, avec une poule dessus. Les paysans du canton, race goguenarde, regardaient en dessous avec méfiance la haute silhouette du vicaire, la soutane troussée, debout dans le brouillard, et qui s’efforçait de tousser d’un ton cordial. À sa vue la porte s’ouvrait chichement, et la maisonnée attentive, pressée autour du poêle, attendait son premier mot, lent à venir. D’un regard, chacun reconnaît le paysan infidèle à la terre, et comme un frère prodigue : au ton de respect et de courtoisie s’ajoute une nuance de familiarité protectrice, un peu méprisante, et le petit discours est écouté tout au long, dans un affreux silence… Quels retours, la nuit tombée, vers les