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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

parfois contre leur propre chair… « Un pas de plus, se disait-il seulement, et les plaies vont s’ouvrir… il faudra sans doute appeler. »

Baissant les yeux, il vit ses gros souliers dans une flaque de sang.

— L’abbé ? fit à travers la porte une voix tranquille, l’abbé ?…

— Monsieur le doyen ?… répondit-il sur le même ton.

— Le dernier coup de la messe va sonner, mon petit : il est temps, grand temps… N’êtes-vous pas souffrant, au moins ?

— Une minute, s’il vous plaît, reprit l’abbé Donissan avec calme.

Sa résolution était prise, le sort était jeté.

Comment fit-il en serrant les dents un nouveau pas, un pas décisif, jusqu’à la cuvette, où il trempa aussitôt la serviette de grosse toile bise ? Par quel autre miracle subit-il sans un soupir la morsure de l’eau glacée sur son dos et sur ses flancs ? Comment réussit-il à rouler autour de lui, sur la peau vive, deux de ses pauvres chemises ? Il fallut encore les serrer avec force pour que la lente hémorragie cessât et, à chaque mouvement, les plis entraient plus profond. Il lava soigneusement le parquet, fit une cachette aux linges rougis, brossa ses souliers, mit tout en ordre, descendit l’escalier, ne