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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

le besoin de dépenser en activité musculaire un trop-plein de pensées et d’images, la légère fièvre que connaissent bien les raisonneurs et les amants. Il presse le pas, de nouveau, sans s’en douter. Et toujours la nuit s’ouvre et se referme. La route s’allonge et glisse sous lui, comme si elle le portait — droite et facile, d’une pente si douce… Il est alerte, dispos, léger, ainsi qu’après un bon sommeil dans la fraîcheur du matin. Voici le dernier tournant. D’un regard rapide il cherche la petite maison de briques roses, au croisement de la grande route et du chemin qu’il a sans doute dépassé tout à l’heure sans le voir. Mais il ne découvre rien de distinct, ni chemin ni maison — et, dans la ville proche, pas une lueur. Il s’arrête, non pas inquiet, mais curieux… Alors — mais alors seulement — dans le silence, il entendit son cœur battre à coups rapides et durs. Et il s’aperçut qu’il ruisselait de sueur.

En même temps, l’illusion qui l’avait soutenu jusqu’alors se dissipant tout à coup, il se sentit recru de fatigue, les jambes raides et douloureuses, les reins brisés. Ses yeux, qu’il avait tenus grands ouverts dans les ténèbres, étaient maintenant pleins de sommeil.

« J’escaladerai le talus, se disait-il ; il est impossible que je ne trouve pas là-haut ce que